Jour 2.29

Jour 2.29 : si vous avez des questions sur mon quartier, je suis l’homme de la situation. Il faut dire que j’en connais un rayon. Un rayon de 1km autour de mon domicile plus précisément.

Alors je sais que le genre enthousiaste sur les bienfaits insoupçonnés du confinement est un peu tombé en désuétude, aussi je ne vais pas fanfaronner sur ma capacité à transformer une « tuile » en opportunité. Mais il est vrai que l’épisode que nous vivons m’a donné l’occasion, à raison d’une fois tous les trois jours environ avec un maximum d’une heure, de découvrir un peu mieux les alentours… Je m’empresse donc de vous raconter mon quartier avant de voir mon horizon s’élargir sans transition, de manière un peu angoissante je dois dire.

Dans mon rayon, il y a beaucoup de gens connus. Morts, mais connus. Et encombrants : ils occupent même 10% de mon cercle. On peut y lire Baudelaire et Maupassant. Avoir raison ou tort avec Aron, Sartre et Beauvoir. Réfléchir avec Durkheim, Hessel, Proudhon ou Muray. Écouter Saint-Saëns ou Vierne sur un instrument de Cavaillé-Coll. Écouter encore Gainsbourg chanter la marseillaise, pour Chirac ou pour la maréchale Pétain. Etc… Dans les morts connus il y a Demy et Varda aussi. Qui avant d’être morts étaient déjà connus et déjà mes voisins. Je peux m’enorgueillir d’avoir attrapé une boîte d’apéricubes un peu trop haute pour Agnès Varda, chez l’épicier. Épicier qui était d’ailleurs dans son film Daguerréotypes (il n’était que commis à l’époque et a repris l’affaire depuis). Pas très loin de Jacques Demy il y a un moulin de mon cœur mais curieusement pas Michel Legrand.

Dans mon quartier, il y a aussi parfois des gens connus mais pas morts. Balkany, Tapie, Kerviel, Carlos (pas le chanteur, l’autre), Benalla, Naceri, Joey Star. Et même Apollinaire, avant de mourir, mais il est allé se faire enterrer ailleurs. A l’époque où je fréquentais les lieux, j’y ai même croisé le fils de la ministre de la Santé : ça ne s’invente pas.

Sinon, à part un cimetière et une maison d’arrêt, il y a une gare et des voies, un grand centre commercial, un hôpital, plusieurs couvents avec des grands jardins, trois hôpitaux… Bref, je suis gâté.

Mais autour de ces immeubles très étendus, il y a plein de petites rues sympas. Ça change de la mer.

J’y ai aussi quelques amis, que j’ai pu croiser inopinément au hasard de mes déplacements brefs liés à l’activité physique des personnes, et ça c’était à la fois chouette et salutaire.

Et puis au centre de tout ce beau monde il y a moi, qui gagne à être connu.

Bref, je n’ai pas du tout fait le tour de mon rayon. Alors comment voulez-vous que je m’en sorte avec 20 km, désormais ?