Jour 3.1

Au risque de rerepasser pour un original, je vous propose un journal du rereconfinement.

Jour 3.1 : Cher Journal, je suis plongé dans un abîme de perplexitude. Cela fait trois jours que j’essaye d’appeler le premier ministre, mais il ne répond pas. Je savais que, dans le fond, il n’avait pas aimé cette comparaison avec Albert Dupontel (alors que bon, c’est plus pour Albert que c’est vexant, si vous voulez mon avis). Emmanuel ne répond pas non plus : peut-être qu’il a mal pris le soin avec lequel je m’efforce de décortiquer, sur les réseaux sociaux, les caractéristiques toxiques de son management et l’intérêt qu’il pourrait présenter pour la science psychiatrique.

Il faut dire que, jusqu’ici, on avait un deal tacite, l’Exécutif et moi : tu me libères du temps en me confinant, et je publie quelques chroniques. Ça m’occupe et ça fait sourire deux trois personnes éprouvées par une crise particulièrement déstabilisante. Win-win. Mais ça fonctionnait parce que j’avais plus de temps pour écrire et que d’autres avaient plus de temps pour me lire. Il ne suffit pas de dire «1-2-3 Confinement » pour que ça marche. Comme la lutte contre le virus, en fait.

Or là, je ne sais pas trop. J’ai lu le décret en long et en large mais je n’ai rien trouvé sur la reprise des journaux de confinement. C’est pourtant l’une des pierres angulaires du dispositif. Et je ne vais quand même pas me lancer dans un journal du couvre-feu : personne ne fait ça, ce serait ridicule.

Je sais bien que le gouvernement dit que c’est un confinement (et le président râle mais ça c’est devenu une habitude), pourtant je vois mal en quoi la nouvelle donne va me dégager du temps supplémentaire. Jusqu’ici, je pouvais sortir librement entre 6h et 18h, sans attestation. Dorénavant, je pourrai sortir librement entre 6h et 19h, avec attestation : je perds une heure d’écriture potentielle, et je perds en plus du temps à remplir une attestation. Il paraît que c’est pour l’heure d’été, ce qui relève du génie : on change d’heure mais on décale tous les horaires. Jusqu’ici j’étais en télétravail 5 jours sur 5, je reste en télétravail 5 jours sur 5. D’ailleurs ça fait 6 mois qu’on renforce le télétravail tout en gardant le même objectif minimal de 4 jours par semaine : je n’y comprends rien. Jusqu’ici, je ne pouvais pas aller au musée, au restaurant, au théâtre, au concert, à la salle de sport, à la piscine, à la chorale, à mon cours de patchwork… Je ne peux toujours pas y aller, mais entretemps j’ai trouvé d’autres manières de m’occuper : la nature a horreur du vide. Ah si, il y a un truc qui change : je ne pourrai plus perdre mon temps dans les commerces non essentiels. Mais en même temps la liste de ces commerces a été tellement élargie que si tu n’en fais pas partie t’as vraiment pas de bol. Et j’ai fait des stocks de bougies parfumées.

Sinon, je ne suis pas concerné, mais il paraît que les cours d’EPS reprennent au lycée. Franchement, s’il y avait bien un truc à rouvrir en dernier…

Bref, je fais quoi, moi ? En dehors de toute considération pratique du type « j’ai une vie », si je publie un journal, est-ce que je ne sers pas la communication creuse du gouvernement, qui nous contraint plus pour avoir l’air d’agir que parce qu’il espère une quelconque utilité de ces mesures ? Et en même temps, si je n’en publie pas, ne me fais-je pas le complice de la morosité ambiante ? Lose-lose.

Et puis il y a l’aspect géographique. Si je commence à rédiger un journal puis que je me rends, pour raisons professionnelles (car, curieusement, j’ai le droit), dans une région non confinée, dois-je m’arrêter ? Alors même que la seule chose qui aura changé c’est que je n’aurai pas besoin de faire une attestation entre 6h et 19h ?

Je crois que, puisque c’est un faux confinement, je dois faire un faux journal de confinement. A moins que ce soit un vrai journal de faux confinement Quelqu’un a une idée de la manière dont je dois m’y prendre ?